Hommage à mes parents
Pourquoi attendre la mort pour le faire? Je vous partage ce texte avec leur approbation, car par chance, ils sont encore en vie.
Chers parents,
Papa, maman,
Quelle chance j’ai de pouvoir vous nommer les deux, encore aujourd’hui !
J’espère qu’au travers de nos contacts, je réussi à vous démontrer, ne serait-ce qu’une infime partie, de l’amour que j’ai pour vous, de la reconnaissance dont je fais preuve de vous avoir comme parents, parce que c’est essentiellement ce que je souhaite et peux vous donner pour vous en témoigner.
Et si par malheur je n’aurais pas su le faire, cette lettre le fera peut-être.
Depuis toujours, je fais de l’anxiété en pensant à votre mort. Je me souviens de moi, à mes 5 ans, qui avait peur de vous perdre, qui vivait mal la séparation, et depuis, il ne se passe pas une année sans que cette pensée traverse mon esprit et que je pleure en silence. Dans les derniers mois, j’ai été témoin de la mort de parents de personnes plus ou moins proches de moi et cette anxiété est réapparue plus vivement. Un sentiment inévitable de douleur d’un deuil possible mais, après y avoir songé, je crois, qu’il est possible d'atténuer. Cette lettre est le résultat du processus par lequel je suis passé: elle a pour but d’être CERTAINE que vous sachiez à quel point je vous aime et suis reconnaissante d’être votre enfant. J’ai l’impression qu’en vous partageant cet hommage, je vivrai, un peu plus, en paix avec l’idée que vous puissiez partir subitement, sans avertissement. Enfin, je l’espère. Elle n’enlèvera en rien l’immense vide que votre départ laissera, mais au moins, j’aurai le sentiment que vous êtes partis avec la conviction que votre travail de parent auprès de moi a été comblé.
Je ne sais pas si vous croyez avoir “réussi” votre vie jusqu’à présent car nous n’en avons jamais discuté, mais si je me fie à ma propre existence, je suis persuadée qu’une partie de la réponse réside dans le fait de voir ses enfants grandir et s’épanouir sainement grâce aux bases qu’on leur a données. Je souhaite que ma contribution d’aujourd’hui serve à vous confirmer, si ce ne l’est pas déjà fait, que vous avez réussi cette portion de votre vie haut la main, et que par chance, ceci apaise quelconque culpabilité que vous auriez pu vivre, et gardée en vous, face à ce grand rôle que vous avez joué et jouez encore auprès de moi.
Pour pouvoir vous écrire cette lettre, j’ai dû repasser ma vie et me questionner sur les événements marquants que j’ai vécus et la relation qui nous caractérisait à chaque période. C’est heureusement, un travail que j’avais fait tout juste avant mes 40 ans, avant de partir en Afrique, mais cette fois-ci, je l’ai refait avec l’optique d’en faire ressortir votre contribution.
Commençons par le début. Jusqu’à mes 11 ans, j’étais très heureuse. Le souvenir de mon enfance n’est que du bien. J’ai souvenir d’avoir eu beaucoup d’affection de votre part, beaucoup de support. Je n’ai souvenir d’aucun conflit, alors si vous en avez vécus, “good job”, je n’en ai jamais rien su. Je suis certaine que cette douceur a contribué à ma stabilité émotionnelle, donc à cette aisance d’explorer la vie sans limite (ou presque). En fait, c’est prouvé scientifiquement que le style d’attachement “sécuritaire”, celui qui caractérise votre style parental, est celui qui aide le plus l’enfant dans son développement. Je ne veux pas de vous faire un cours de psycho, mais bien de vous dire que d’instinct, vous aviez tout bon. Vous m’avez fourni un milieu sécuritaire pour me développer, me découvrir, remplir ce monde interne d’intérêts variés mais surtout importants pour moi. Ces moments en camping, sur la route, à la maison, en famille et toutes les autres activités comblaient mes besoins de découverte, de sécurité et d’affection. Ce monde interne était tellement bien développé, que rester seule ne me dérangeait pas, même, je l’appréciais. Papa, oui, tu partais souvent. Je te voyais peu. Mais maman, toi, tu as su jouer ton rôle de maman tellement bien que cette période d’absence ne m’a pas affectée comme elle aurait pu. Tout s’est passé doucement, tu étais tellement à l’écoute. Je n’ai JAMAIS sentie une seconde que tu ne voulais pas m’écouter, que mes émotions étaient inadaptées et donc ta présence pour moi était ma solidité. J’ai toujours senti ton support, et même encore aujourd’hui. Ceci dit, c’est au travers de ton dévouement auprès de moi maman, que tu as fait grandir en moi la motivation de vivre mais surtout de m’émerveiller devant la vie, en me donnant ses 3 piliers: la compétence (en m’enseignant), l’affiliation (en étant présente et réceptive) et l’autonomie (en m’offrant de la sécurité mais sans protection démesurée). De plus, vous n’aviez nul besoin de me chicaner, pour moi, la fierté dans vos yeux disait tout, faisait tout.
Bien sûr, toi papa, quand je repense à mon enfance, tu étais le papa “cool” mais autoritaire. C’est au début de mon adolescence que j’ai commencé à te voir plus fréquemment, à te connaître plus. Un bien fou, tu m’as vite paru plus souple. Peut-être aussi grâce à la maturité que je gagnais. Avec toi, j’avais sans aucun doute, toute l’autonomie nécessaire pour me réaliser. Un conseil ici et là, et voilà, tu avais la conviction que j’avais la compétence pour entreprendre ce qui s’en venait. Tu t’assurais que j’en savais juste assez pour ne pas que je vive de trauma et que ça me permette d’expérimenter le plus moi-même. Un jeu de génie. Maman, toi tu étais là pour rattraper les pots cassés si jamais. J’en ressortais TOUJOURS plus forte. Une équipe de feu ! Cette période sécuritaire que vous m’avez donnée, combinée à vous voir aussi généreux envers vos ressources pour les autres et pour moi, se traduit par une petite Fanny qui a une joie de vivre, des amis.es et une tonne d’intérêts dans tous les champs possibles et inimaginables. Juste pour vous prouver que mon inconditionnelle reconnaissance remonte à loin, même à cet âge, et surtout dans les années qui ont suivies, il y avait une loi non écrite qui disait que personne de mes amis.es n’avait le droit de parler en mal de vous. S’il y a bien une chose pour laquelle je me tenais debout malgré ma douceur, c’était pour votre respect.
Et là est arrivé une période, que je ne regrette pas et vous comprendrez pourquoi, mais qui nous a, tous les 3, chamboulée grandement: mon fameux 12-14 ans. Le mélange d’une Fanny qui a eu la vie très facile jusqu’à présent et d’une amie dont la vie a été tout sauf facile jusqu’à présent, a nécessairement eu des répercussions sur mes comportements. Drogue, alcool, vol à l’étalage et une tonne de mauvais coups que je ne nommerai pas ici se sont manifestés. Je vivais une rébellion qui n’était pas la mienne. C’est à cette période que j’ai senti que ces derniers avaient un impact sur vous, sur la colle qui vous unissait. Je n’étais pas bien, pas fière, mais je ne savais pas comment m’en sortir. Vous faisiez ce que vous pouviez pour me supporter et c’était amplement suffisant. J’avais besoin de vivre assez de cette souffrance pour réaliser qu’il devait se passer quelque chose. Cette période m’a aidé à bâtir mon affirmation: à dire haut et fort ce que je veux vivre et ne plus vivre. Si je ne m’abuse, c’est toi maman qui avait fait la demande pour que cette amie ne soit plus dans ma classe en secondaire 3. Une bénédiction ! Et grâce à cette période, aujourd’hui, je vois l’importance de m’impliquer dans la vie étudiante/amicale de mes enfants. Malgré l’enfer que j’ai eu l’impression de vivre durant ces 2-3 années, après coup, je n’y vois que du positif. Je crois également, que cette période a su nous rapprocher au fil des années suivantes.
Encore et toujours, vous valorisez l’apprentissage. L’apprentissage en général. Celui qui nous expose comme néophyte face au regard des autres, qui nous fait redescendre de notre égo, si égo il y a. L’autodérision était l’arme par excellence pour toi papa, et l’est toujours d’ailleurs. Tu m’as transmis cette humilité de s’avouer “poche” mais en gardant en tête qu’il n’y a que possibilités d’amélioration. Vous souhaitiez pour moi, une meilleure carrière que la vôtre et me disiez de suivre mes intérêts. En valorisant l’apprentissage, vous m’avez permis de rêver à des métiers excitants. Je n’avais aucune limite. Par un concours de circonstances je ne suis pas devenue astronome, mais encore à 41 ans, mon parcours scolaire n’est pas terminé, et je n’ai pas l’intention de le terminer un jour. Vous m’avez fait comprendre que les connaissances sont comme un gros moteur et qu’elles offrent la liberté et les moyens de faire arriver les choses que l’on souhaite dans la vie.
Arrive le cégep, le chum et l’appartement, bref: l’éloignement. Je suis contente et fière de mes choix mais la distance avec vous me pèse. Elle m’a pesée jusqu’à votre arrivée à Drummondville mais moins durant mes premières années, grâce à cet emploi de rêve qui comblait mon besoin de découverte à 200%. Encore là, la fierté dans vos yeux, une tonne de choses à se raconter. C’est surtout là (avant aussi quand même) que j’ai commencé à goûter au bonheur de se parler d’égal à égal (même si ce ne sera jamais réellement le cas dans une relation parents/enfants), que je pouvais vous partager de mon expérience envers lequel vous aviez un fort intérêt. Toi maman, tu étais émerveillée de me voir aussi bien, de constater mon propre émerveillement envers ce que je vivais, et encore aujourd’hui, de comment je vois la vie. Toi papa, ton ouverture sur le monde, ton envie de découverte et de toujours apprendre m’inspirent encore et toujours. Ils ont certainement joué un grand rôle sur mon appréciation de ce travail. Ton sens critique mais sans jugement m’ont fait comprendre que tout le monde est unique, qui n’en tient qu’à nous de prendre la place que nous souhaitons et qu’il est possible, grâce à une grande compassion, de faire ceci dans le respect de tous. Cette compassion qui te caractérise très fortement.
Je n’ai jamais souhaité de malheur et pour être franche, même si je l’avais fait, je ne crois pas aux superstitions ou au surnaturel non plus, vous m’avez appris que seul le travail nous mène où l’on veut aller, mais, comme si quelqu’un dans les hauteurs m’avait entendu, la vie a fait en sorte que votre venue à Drummondville s’est précipitée, laissant l’espace nécessaire pour se voir plus souvent et profiter de soupers la fin de semaine et même, de temps en temps, en milieu de semaine. Nous avons même profité d’une cohabitation un certain temps. Le bonheur maintenant de passer devant votre porte matin et soir, de klaxonner pour vous saluer et d’arrêter quasi n’importe quand. J’en ai tellement rêvé, de cette proximité.
Cet épisode extrêmement difficile de 2007, nous a permis, à toi et moi, papa, de développer une grande complicité. Une complicité que je n’aurais même jamais imaginée possible. Pas “possible” dans le sens d’impossible, seulement parce que ça ne m’avait jamais traversé l’esprit. Cette complicité avec toi, au niveau où elle est aujourd’hui, ne me manquait pas particulièrement car je l’avais suffisamment avec maman. La vie a fait que nous avons pu développer ce lien, et j’en suis extrêmement reconnaissante. Je me sens tellement choyée et privilégiée d’avoir ce lien de grande qualité avec vous deux, indépendamment.
Aujourd’hui, avec les enfants et la vie très meublée, la seule déception qui m’habite est celle d’avoir l’impression de ne pas vous voir assez. Je crois en partie que cette impression est dûe au fait que je souhaitais vous montrer tout mon amour, le plus souvent possible, et j’espère que cette lettre, après que vous en ayez pris connaissance, aidera à atténuer ce sentiment qui m’habite. Malgré que je conçoive qu’il y a une part qui vient de ceci, j’ai aussi réellement envie de vous voir plus souvent. Sachez que je travaille très fort pour me libérer du temps pour rendre ceci possible. J’ai tellement de plaisir avec vous depuis les dernières années, j’apprécie chaque instant, en les savourant.
Je réitère, mon but n’est pas de vous dire que vous pouvez maintenant partir dans l’au-delà en paix, non non, mais du moins, si cette lettre a pour effet d’atténuer quelconque regret face à votre rôle de parent en vous confirmant, que de mon point de vu, vous avez fait un travail remarquable, j’aurai atteint mon objectif.
Vous êtes exceptionnels.
Vous m’émerveillez.
Vous m’inspirez.
Longue vie à vous, à nous.
“Amènes-en des projets !” diras-tu maman !
“Take care !” diras-tu papa !
Je vous aime profondément,
Votre fille, Fanny
Note: Vos yeux et vos marques d’affection ont toujours surpassé vos mots. Je sais que vous m’aimez inconditionnellement et êtes fiers de moi. Je n’en ai JAMAIS douté.